Deux photos
J'ai repris la photo au début des années 2000, lorsque sont arrivés les premiers appareils photo numériques ; les photos n'étaient pas toujours celles que j'avais imaginées.
Je retiens de mes premières années deux photos, parmi beaucoup d'autres. Deux photos fort différentes l'une de l'autre, qui ont marqué, chacune à sa façon, mon intérêt renouvelé pour la photo.
La première a été prise dans la Drôme, en 2002, lors d'une ballade autour d'Ourches, et représente des coquelicots ; une image prise un peu à la sauvette, en marchant. Les coquelicots sont des fleurs magnifiques, remarquables. J'ai été très surpris par la qualité des couleurs, pas très différentes de ce que nous pouvions obtenir avec le procédé Cibachrome : des couleurs intenses, saturées, nettes ; une image brillante, qui s'apparente à une diapositive. Et ce qui n'était pas pour me déplaire : le reflet des éléments de la lentille et du diaphragme, très présent en contre-jour, me rappelait les lentilles, bien imparfaites, des années 1970.
La seconde photo a été prise à Percé, lors de la première journée d'un cours de photo donné par Louise Tanguay, dans le cadre de l'École d'été de l'Université Laval (qui a depuis cessé ses activités). Le premier exercice, que Louise Tanguay appelait le piquet russe, était assez simple : s'installer dans un endroit comme si nous étions attachés à un piquet, avec une corde de 10 ou 15 mètres, et faire de la photo durant 2 heures, ou à peu près. À Percé, la solution simple aurait été de chercher un point de vue sur le rocher, et de faire des photos en jouant sur les angles, et en attendant la bonne lumière. Mais c'était justement trop simple. À tout le moins, ces photos ont déjà été faites des milliers de fois, par tous ceux qui visitent la région ; car tous ceux qui passent par Percé finissent par photographier le rocher, d'une façon ou d'une autre. Mieux valait choisir un lieu moins connu, plus secret peut-être, pour trouver quelque chose d'original, de neuf à dire sur la région. Sortir des sentiers battus, en quelque sorte.
Je me suis donc installé dans un petit cimetière, anglican si ma mémoire est bonne, un cimetière presque invisible, sans doute un peu oublié et rarement visité, parce qu'un peu à l'écart : quelques pierres tombales, quelques arbres, une clôture. Et une brume épaisse qui aurait pu être une brume d'automne ; nous étions pourtant au début de juillet. J'ai fait plusieurs dizaines de photos ; mais celle-ci est probablement la plus intéressante, la plus réussie. On devine à peine les bâtiments dans la brume ; ils sont pourtant tout proches, mais pratiquement invisibles. Et les couleurs du sol, très humide (il avait plu durant la nuit), sont magnifiques, très saturées.
Ces deux photos ont marqué marqué mon intérêt renouvelé pour la photographie. La première m'a convaincu du potentiel du numérique, à une époque où le film était encore vu comme étant supérieur. La seconde m'a convaincu que la photographie est d'abord une question de travail.